Le droit à l’image dans le monde numérique: informations juridiques à l’attention des institutions d’aide à la jeunesse
Rahel Heeg
Conseil technique: Peter Mösch (Haute école Lucerne), Daniel Sollberger (Police cantonale de Bâle-ville / Brigade des mineurs et prévention)
Definitions
Le droit à l’image fait partie des droits de la personnalité, conformément au Code civil suisse (CC). Il stipule que chacun d’entre nous, en principe, décide du contexte et de l’utilisation de photos dont il est le sujet.
Le Code civil suisse met l'accent sur les droits de la personnalité de chaque individu, y compris les enfants et les jeunes. Selon le CC, chacun d’entre nous dispose des mêmes droits et devoirs dans les limites de la loi et toute personne a droit à l'intégrité notamment dans les domaines suivants de la personnalité:
- Personnalité physique: protection de l'intégrité physique, liberté de mouvement
- Personnalité affective (émotionnelle): protection contre les atteintes immédiates et durables contre la sphère émotionnelle
- Personnalité sociale: sphère secrète et privée, confidentialité, liberté informationnelle (etc.)
Toute personne majeure (18 ans révolus) et capable de discernement a l’exercice des droits civils.
Les personnes sont capables de discernement, si elles peuvent agir raisonnablement dans une situation concrète, c'est-à-dire si elles comprennent la portée de leurs actes (capacité de juger) et agissent librement sur la base de cette appréciation (capacité d’agir selon sa volonté). La capacité de discernement doit toujours être évaluée par rapport à une situation concrète. Une personne peut être capable de discernement pour certaines actions et incapable de discernement pour d'autres. Si les enfants et les adolescents peuvent évaluer les effets d'une décision, ils peuvent, par exemple, conclure des contrats avec le consentement de leurs parents et gérer l'argent qu'ils ont gagné eux-mêmes (p. ex. grâce à un job d’été) (voir chapitre 2 sur les droits de la personnalité).
La question de savoir si les droits de la personnalité sont violés ne peut être tranchée qu'après l’analyse des circonstances concrètes. En cas d’incertitude, il s’agit de considérer le degré des droits de la personnalité auquel on peut s'attendre de bonne foi dans un contexte précis.
Aperçu de la situation de fait
Si l'image d'une personne (photo, film, dessin, etc.) est publiée (p. ex. dans un journal interne, sur une page d'accueil, sur un tableau d'affichage) sans l’autorisation de la personne représentée, celle-ci peut intenter une action civile. Un tribunal doit alors décider s'il y a eu atteinte injustifiée au droit de la personnalité. Le critère d'évaluation est le dommage qui a été causé. Par conséquent, une condamnation sera uniquement prononcée, si la personne représentée a subi un préjudice du fait de la publication.
Lorsque la personne est le sujet de l'image: Si une personne est facilement identifiable et n’est pas qu’un simple accessoire, le consentement à la publication est requis en principe. Plus l'image présente la personne sous un mauvais jour, plus le consentement gagne en importance. Cela signifie qu'une photo prise avec trois autres jeunes dans la salle commune ne pose pas de problème, alors qu’une photo prise dans une cabine d'essayage nécessite un consentement explicite.
Le consentement peut être explicite ou tacite. Dans le cas d'un consentement explicite, la personne concernée donne son accord à la publication de son image. Le consentement tacite résulte du comportement, des gestes et des expressions faciales. Si un jeune pose consciemment devant l'appareil photo, un jour de visite, ou participe à une photo de groupe, on peut supposer qu'il autorise la publication de cette photo dans un rapport relatant ce jour de visite sur la page d'accueil ou sur Facebook.
L’autorisation en question doit se rapporter au cas particulier. Elle ne s'applique pas à d’autres fins ni pour une utilisation future. Le degré de concrétisation de cet accord dépend des circonstances. Plus l'intrusion dans la vie privée de la personne représentée est grande (photos de nu, par exemple), plus le consentement doit faire référence à cette publication de façon concrète et explicite. En cas d'atteintes mineures à la vie privée, il est toutefois judicieux et transparent, mais pas absolument nécessaire, de demander l'autorisation de publier.
La publication de photos intimes de mineurs, malgré leur consentement, peut être punie par la loi, si les images ont un caractère sexuel et peuvent être qualifiées de pornographiques (voir chapitre 4 Pornographie).
Lorsque la personne n’est pas le sujet de l’image: Si une personne représentée n'est pas le sujet de l'image, si elle fait partie d’un groupe de personnes, et si elle est à peine visible ou difficile à reconnaître, le consentement de cette personne n'est généralement pas requis. C'est le cas, par exemple, de photos représentant un groupe de personnes lors d'un événement public dans un internat. Dans des contextes sensibles et involontaires, une retenue particulière est cependant nécessaire. Il s’agit également d’obtenir le consentement de la personne représentée, si la publication d'une photo peut avoir des conséquences désagréables.
Les enfants et les adolescents peuvent décider eux-mêmes de la publication d'images, s'ils sont capables de discernement, c'est-à-dire s'ils comprennent la portée de la publication des images et agissent librement et raisonnablement (voir chapitre 2 Droits de la personnalité). L'âge à partir duquel une personne est capable de discernement n'est pas clairement défini. En cas de doute, il convient de demander la permission aux détenteurs de l’autorité parentale.
En téléchargeant une photo sur Facebook, Instagram ou Snapchat, ces entreprises disposent du droit de l’utiliser (c'est le seul moyen de rendre la photo accessible à d'autres personnes). WhatsApp a le droit d'utiliser les photos de profil et éventuellement d'autres contenus (les conditions générales de vente CGV laissent une marge d'interprétation). En théorie, ces entreprises peuvent continuer à utiliser cette photo au-delà de sa publication sur leur plate-forme ou, par exemple, accorder des sous-licences à d'autres sociétés. Toutefois, cela nuirait à la confiance en ces plates-formes.
Sources/pour en savoir plus:
PSC (2015): Mon image. Agir de bon droit. Lien
Conseils de Pro Juventute pour les parents: Lien
Curaviva (2015): Professionelles Handeln im Spannungsfeld von Nähe und Distanz. Eine Handreichung aus Sicht der Praxis und der Wissenschaft.
okaj zürich, Kantonale Kinder- und Jugendförderung (2017): Alles was Recht ist: Rechtshandbuch für Jugendarbeitende. Zürich: Orell Füssli Verlag
Conclusions et recommandations à l’attention des institutions d’aide à la jeunesse
Principes
- Les photos ne peuvent être prises contre la volonté de la personne représentée. En principe, chacun peut décider des fins d’utilisation de photos/vidéos (même si les photos ne sont pas rendues publiques).
- Discutez avec les enfants/jeunes de la manière avec laquelle ils utilisent les images: Dans quels contextes prennent-ils des photos d'autres personnes et comment les utilisent-ils? Pour quel genre de photos acceptent-ils de poser, et pour quelle utilisation? Quand la personne représentée devrait-elle pouvoir donner son consentement?
- Discutez du traitement des images dans le cadre de l’institution (p. ex. photos d’événements). Développez une culture consciente de la gestion des images et fixez certaines règles. En principe: plus les données sont sensibles et plus le public est large, plus le consentement est important. Exemples: Si les albums photos intimes des mineurs sont uniquement compilés pour leur propre usage et qu'aucune photo personnelle ou embarrassante d'autres personnes n'est utilisée, cela ne pose pas problème. Si le résultat d'un projet vidéo fait l’objet d’une présentation publique, le consentement de tous les participants doit être obtenu, dès qu’ils disposent du produit final (une autorisation initiale, alors que le résultat final n’est pas connu, pourrait être problématique.)
- Obtenez l'autorisation de prendre des photos portraits ou de petits groupes de personnes et de les utiliser (le type d'utilisation devrait être clairement indiqué). Dans des contextes sensibles (p. ex. exécution de peines, établissement psychiatrique), le consentement peut également être requis pour de plus grands groupes de personnes.
- Obtenez un consentement explicite, si les personnes sont clairement reconnaissables sur les photos publiées sur Facebook ou sur la page d'accueil et qu'elles ont un contenu sensible (p. ex. quelqu'un est représenté de manière défavorable). Plus les photos sont personnelles ou plus une personne est présentée de manière défavorable, plus le consentement est important. Attention: Lors du téléchargement d'une photo sur Facebook, tous les droits d'image sont attribués à Facebook.
- Aucun enregistrement vidéo ne peut être fait à des fins disciplinaires.
Questions
- Les enfants et les jeunes dont nous nous occupons connaissent-ils les droits à l'image? La raison et la finalité du droit à l'image sont-elles discutées au sein de notre établissement?
- Dans quelles situations des images (photos/vidéos) sont-elles prises dans notre établissement? (d’enfants/jeunes, de collaborateurs). Y a-t-il des contextes qui pourraient être particulièrement problématiques? Comment traitons-nous cette question?
- Comment les images de personnes sont-elles utilisées dans notre établissement? Par exemple, pour la page d'accueil, le journal interne, les photos de téléphones portables prises par les adolescents. Les personnes concernées connaissent-elles ces images? Quand et de quelle manière ont-elles la possibilité d’autoriser ou de refuser l’utilisation?
- Comment d'autres personnes utilisent-elles les images de notre établissement? Les photos de la page d'accueil sont-elles utilisées à d'autres fins? (par exemple, lorsque des mineurs détournent des photos d'autres mineurs)
Contrats-types de CURAVIVA pour le traitement des images et du son
CURAVIVA propose des contrats-types pour le traitement des images et du son. Vous pouvez les télécharger ici.
Exemples
Jessica, 14 ans, se plaint que d'autres jeunes du groupe de vie ont pris des photos d'elle sans lui demander son autorisation. Elle ne sait pas si ces photos ont été postées sur Snapchat ou Instagram. |
Dès qu'une photo constitue un désavantage sérieux pour la personne concernée, celle-ci peut porter plainte (p. ex. des photos prises dans la salle de bain ou dans des situations dans lesquelles elle se sent ridiculisée, etc.). Les dommages et demandes d’indemnisation feront l’objet d’une procédure civile. Il est judicieux d'aborder ce conflit au sein du groupe de vie et d'élaborer des règles communes. Même si personne ne s'est plaint, le traitement des photos devrait être discuté au sein du groupe de vie. La question se pose, par exemple, de savoir si tous les jeunes sont conscients des conséquences négatives possibles. Sur les conditions légales relatives au contrôle des téléphones mobiles, voir chapitre 2. |
Lars a 13 ans et vit dans un groupe d'enfants dans un foyer proposant des placements à long terme. Lars est très habile en informatique et aime retoucher les photos. Il a copié plusieurs photos du site web de l'institution, les a détournées et affichées sur Facebook. Les parents de l'un des enfants se sont plaints à la direction du foyer. |
Le comportement de Lars n’entraîne pas de conséquences pénales, du fait qu’il a utilisé des images accessibles au public. La seule exception serait s'il avait détourné les images d'une manière diffamatoire ou honteuse. Dans tous les cas, il s’agit de discuter avec Lars sur la manière de traiter les photos d'autres personnes. Il convient toutefois de noter que l'utilisation par l’institution de photos d'enfants sur une page d'accueil peut constituer une atteinte civile à la personnalité des parents et de leur progéniture, si leur consentement à l'utilisation n’a pas été donné. De même, les dispositions relatives à la protection des données peuvent être enfreintes, si les photos postées sur une page d'accueil ne sont pas protégées contre l'utilisation ou la manipulation par des moyens habituels ou raisonnables. |
Paul, 15 ans, a trouvé sur Internet des photos de la stagiaire Sabrina en bikini sur la plage. Sabrina a créé son compte Facebook de sorte que tout le monde accède à tout le contenu. Paul trouve que c'est cool, il envoie le lien aux autres jeunes. Sabrina est outrée, l'équipe trouve qu'elle aurait dû s’attendre à cela. |
Dès que l’on met soi-même une photo à la disposition du public, elle peut être utilisée à d'autres fins non commerciales. Sont accessibles au public, par exemple, toutes les photos sur Facebook ou la photo du profil WhatsApp. À cet égard, Sabrina a rendu la photo disponible. Une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC peut toutefois exister, si les photos sont utilisées de manière offensante, par exemple lorsqu’elles sont combinées avec un texte désobligeant ou retouchées avec malveillance. Dans tous les cas, il s’agit de discuter avec Paul et les autres adolescents sur la façon de traiter les photos des autres. Attention: Lorsqu'une photo est téléchargée sur Facebook, les droits d'utilisation de la photo sont attribués à Facebook. |
Kevin, 14 ans, utilise une photo d’une collaboratrice lorsqu’il se masturbe. |
En principe, cela ne regarde que Kevin. Toutefois, si son comportement est connu et si la collaboratrice estime que ses droits de la personnalité ont été violés, ou si ce fait a une incidence négative sur son activité de prise en charge, l'employeur a le devoir de protéger les droits de la personnalité de son employée (art. 328 Droit des obligations). Il faudrait alors réagir. Indépendamment des questions de droit pénal et civil, il s’agit de discuter avec Kevin sur le traitement des photos d'autres personnes. |
Indications sur les bases légales
Indications sur les bases légales
Constitution fédérale
Art. 13: droit d’être protégé contre l’emploi abusif de données personnelles et à l’autodétermination informationnelle
Code civil
Art. 11: jouissance des droits civils
Art. 28: protection de la personnalité contre des atteintes
Loi sur la protection des données LPD
Convention européenne des droits de l’homme: art 8: droit au respect de la vie privée